Fathi Chamkhi
Économiste, président d’Attac Tunisie, Fathi Chamkhi livre son analyse sur la situation économique du pays, appelant à un système de justice sociale qui réponde aux besoins fondamentaux de la population.
Quels sont les ressorts sociaux et économiques profonds qui ont conduit au soulèvement des jeunes et à la révolution du 14 janvier ?
Fathi Chamkhi. Le régime économique mis en place par Ben Ali en 1987 est très libéral. Pour les institutions internationales, que ce soit l’organisation mondiale du commerce, le fonds monétaire ou l’Union européenne au travers de son partenariat euro-méditerranéen, Ben Ali est devenu le bon élève de la mondialisation libérale. Pourtant le démantèlement des services publics ainsi que les vagues de privatisation en Tunisie se sont réalisés dans l’opacité la plus totale, avec la mainmise de clans mafieux. Les entreprises ont, par exemple, été bradées et vendues par leurs nouveaux propriétaires pour la spéculation immobilière. Les terres agricoles ont été accaparées par la famille Ben Ali via des sociétés étrangères. Progressivement, le développement de ce secteur mafieux a contaminé toute l’activité économique. Parallèlement, le régime a créé une fiscalité nulle pour les sociétés étrangères. Les entreprises françaises sont devenues le deuxième employeur de la Tunisie, derrière l’État. Ce système produisait de la croissance, en moyenne de 5 % par an, mais celle-ci était de la poudre aux yeux. De 1984 jusqu’au milieu des années 2000, le revenu du capital a augmenté de 90 %, alors que dans le même temps le salaire réel moyen est resté stable. Le taux de chômage élevé hérité de l’époque Bourguiba s’est maintenu, en dépit de l’amélioration du niveau de formation. Les jeunes diplômés ont été les plus touchés par le chômage, la Tunisie ayant fondé sa stratégie sur des secteurs employant une main-d’œuvre peu qualifiée, le textile et la confection de vêtements, où le tourisme. Pis, la politique conduite par Ben Ali a provoqué une explosion du sous-emploi. Deux actifs sur trois sont en situation de sous-emploi. Une paupérisation de masse a vu le jour. La crise économique mondiale de 2008 a aggravé les besoins sociaux. Mais l’État a répondu en trafiquant les chiffres, allant jusqu’à annoncer une baisse du chômage. Les richesses des familles Ben Ali et Trabelsi, (épouse de l’ex dictateur – NDLR), ont été exhibées de manière insultante et insolente à la population. Les conditions étaient réunies pour qu’explose le baril de poudre.
Quels sont les changements qui peuvent découler de cette révolution ?
Fathi Chamkhi. Je suis convaincu que la Tunisie dispose de nombreux ressorts : la condition de la femme, des salariés qualifiés, de nombreuses richesses. Il faut les libérer de cette oppression politique qui croit connaître mieux que nous nos intérêts. La révolution a commencé à lancer un processus au niveau démocratique. Sur le plan économique, ce n’est pas encore gagné. Le nouveau gouvernement d’unité nationale pense que le libéralisme économique marche. Sa seule préoccupation est d’assainir le climat des affaires, de combattre la corruption et surtout de rassurer les investisseurs étrangers pour qu’ils exploitent encore d’avantage les Tunisiens. Alors qu’il faut mettre en place un système de justice sociale, une croissance qui prenne en compte les besoins fondamentaux. Il faut rester vigilant: même affaibli, le régime essaie de se maintenir en place.
Entretien réalisé par Clotilde Mathieu
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