Fathi Chamki
Les différentes déclarations du Ministre de l’agriculture en rapport avec les récentes perturbations dans l’approvisionnement en eau enregistrées dans un certain nombre de régions de la république qu’il a entièrement mis sur le dos de la SONEDE accusant certains de ses premiers responsables de laxisme et de (conférence de presse donnée le 2 août au siège du ministère, déclarations lors de son passage sur les plateaux télés) ajoutées à celles du Ministre de la santé qui a émis des doutes sur la potabilité de l’eau de robinet, nous invitent à réfléchir sur les raisons d’un tel acharnement à l’encontre d’une entreprise publique qui depuis plus de 40 ans n’a cessé de réaliser des performances en matière d’approvisionnement en eau potable tous secteurs confondus ( domestique, tourisme, industrie et même agricole ) atteignant même des taux de desserte record en comparaison avec des pays voisins (100% dans le milieu urbain et 94% dans le milieu rural en conjuguant ses efforts avec ceux de la direction générale du génie rural) sans jamais recourir au rationnement malgré des ressources en eaux très limité, la Tunisie étant classé parmi les pays en situation de pénurie hydrique ( mois de 500 m3 an/habitant) et à des tarifs raisonnables si on soustrait de la facture la partie ONAS et la TVA égale à 18% pour un produit de première nécessité.
De sources sures, les perturbations enregistrées au cours du mois de juillet dernier étaient principalement dues aux fréquentes coupures d’électricité (en raison du délestage pratiqué par la STEG ) et qui ont touché un certain nombre d’ouvrages SONEDE, mais principalement la station de traitement de Belli qui fournit l’eau à la région du Sahel et de Sfax, et les stations de pompages de Jelma, entraînant une action en chaîne (réservoirs non approvisionnés, conduite asséchées) que la SONEDE a mis des semaines à réparer les effets.
Ceci en plus d’une saison touristique record en comparaison avec 2011 et même 2010 et de fortes chaleurs qui ont tous engendré un pic de consommation, sans oublier l’accueil sur notre territoire de plus de 100.000 familles libyennes ayant des habitudes de consommation qui dépassent la moyenne tunisienne, installés d’une manière quasi-permanente dans la région de Sfax principalement. Ce pic de surconsommation avait d’ailleurs atteint les 13% en juin 2012 par rapport à la moyenne de juin 2011.
Ceci dit ces perturbations dont les raisons sont pour la plupart imprévisibles, n’ont touché en fait qu’un certain nombre de localités dans 3 ou 4 gouvernorats, dont certains ne sont pas du tout imputables à la SONEDE puisque certaines de ces localités ne sont pas branchées sur le réseau SONEDE, mais plutôt approvisionnées par des systèmes d’eau potable autonomes réalisés et gérés par le ministère de l’agriculture en collaboration avec les GIC (Groupement d’intérêts collectifs) locaux.
Qu’est ce qui explique donc le désengagement du ministre de l’agriculture vis-à-vis de la SONEDE qui est au fait un organisme public sous la tutelle de son ministère donc sous son contrôle direct?
D’ailleurs le désavouèrent ne date pas de la crise, puisque dans une autre conférence de presse donnée par M. Ben Salem des mois avant le début de l’été, il avait parlé de dossiers de corruption à la SONEDE, lesquels dossiers n’ont pas toujours été révélés à ce jour et ce malgré la désignation depuis quelques mois à la tête de l’entreprise d’un nouveau PDG proche du ministre M. Hédi Belhaj.
Tout ceci nous invite à nous demander sur les vraies raisons derrière cet acharnement, les raisons peuvent être multiples, mettre la main encore une fois sur l’une des plus grandes entreprises du pays et placer à sa tête et dans ses différents départements un certain nombre de sympathisants de la Troïka, en remplacement des cadres qu’on vient de limoger, préparer le terrain pour le recrutement en masse de jeunes adhérents chômeurs, sans que personnes n’en sache rien…etc, tout cela est envisageable, mais il parait que les raisons sont toutes autres et même plus graves encore, il s’agit tout simplement de préparer le terrain vers une éventuelle privatisation de la SONEDE, ce qui aura pour effet immédiat de renflouer les caisses vides de l’Etat et lui souffler une bouffée d’oxygène salvatrice qui pourrait au gré de la Troika, soit servir à combler en partie de déficit budgétaire, soit couvrir les 1.2 Milliard de dinars nécessaires au dédommagement des victimes de l’ancien régime (Dilou avait d’ailleurs bien dit que les sources de financement de ce dédommagement ne viendraient pas directement du budget de l’Etat, une cession d’une partie des actifs de la SONEDE ferait dans ce cas l’affaire).
Cette opération serait interprétée par la Troïka comme une action salvatrice pour deux entreprises publiques déficitaires et même sur le point de couler, puisqu’elles n’arrivent plus à assurer la continuité des services publics dont elles ont la charge. La privatisation entrainera plus de rigueur dans la gestion de ces entreprises et un apport technologique indéniable dira la Troïkas, c’est un indice de modernité et de dynamisme, voire même d’expansion de ces deux vieilles dames malades.
Mais ce qu’ignore le commun des mortels, c’est que toutes les privatisations des distributeurs d’eau potable ont engendré automatiquement des augmentations des tarifs aussi bien au niveau du prix de l’eau, qu’au niveau du coût du branchement, ce qui empêcherait des milliers de familles nécessiteuses d’accéder à une eau potable saine et en quantité suffisante. Sans oublier que la cession d’un secteur aussi vital à des holdings étrangers, équivaut à la cession d’une partie de nos ressources hydriques, “richesse nationale” aux étrangers confisquant par la même occasion les droits des générations futures. Ces holdings, contrairement à notre opérateur public, la SONEDE, ne se soucieront guère de l’aspect social de l’eau ni d’ailleurs des aspects environnementaux, ni même sanitaires d’ailleurs, leur seul objectif, c’est le profit et rien que le profit, des profits qui seront d’ailleurs transférés en devises étrangères en dehors de la Tunisie.
Ben Ali avait essayé à la fin de la dernière décennie de mettre la main sur une partie du secteur de l’eau potable à travers la participation de Princesse Holding (à hauteur de 10%) dans le groupement qui devait exploiter la station de dessalement d’eau de mer de Djerba, mais avant de s’emparer de ce projet, la révolution l’a balayé lui et sa famille, en sera-t-il de même avec ce gouvernement disposer à tout monnayer? (rappelez-vous la triste affaire de Mahmoudi, mais surtout des gisements miniers concédés en catimini à nos amis qatari).
Un dernier indice sur la possibilité de cette hypothèse, lors de la fameuse conférence de presse du 5 août, monsieur le ministre avait parlé de redéploiement du personnel et de restructuration de l’entreprise, deux termes qui signifient aux yeux des spécialistes : PRIVATISATION.
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