Impressions de terrain
Cet après midi (4 mars 2011) on est allé à Ras-Jdir (la frontière Tuniso-Libyenne) pour déposer quelques aides d’urgences… Ce que j’ai vu est juste au-dessus de ce que je pouvais imaginer. Des milliers de personnes dans une attente interminable depuis des jours. Dans cet espace particulièrement inhospitalier… ils semblent fatigués, perdus, quelques peu désespérés, collant aux rumeurs fautes d’informations fiables. Exposés au froid glacial, particulièrement la nuit, et au risque de pluies, ils ne manquent d’évidence ni de nourriture ni d’eau. La générosité des Tunsiens qui se sont encore surpris eux même élimine tout risque de famine… Les espaces de stockage sont pleins et des centaines de pains sont déjà abîmés et ne seront probablement jamais consommés. D’autres produits connaîtront probablement le même sort. Mais ne faut-il pas trop que pas assez, surtout en ces temps difficiles ?
Pour le reste, ils manquent de soins, d’intimité, d’hygienne, de toilettes et d’infos sur le moindre détail de leur journée. Il semblerait que plusieurs cas de diarrhée, de grippes et d’autres maladies, relativement contagieuses, ont été recensés… Cette situation, il faut le dire, est davantage dû au fait que personne ne s’attendait à une telle évolution rapide … personnes ne pouvait penser que Kheddafi irait jusqu’au massacre organisé de sa propre population et à l’exclusion brutale et indigne des immigrés…
A Ras Jdir, il y avait des Egyptiens, des Africains sub-sahariens, des Indiens, des Bengalis, des Soudanais,… etc. A Ras Jdir, il y avait aussi beaucoup de volontaires, le Croissant Rouge Tunisien, l’ONU et le commissariat des Réfugiés, des ONGs,… et l’armée qui fait du maintien de l’odre mais du social aussi… A Ras Jdir, j’ai vu beaucoup de journalistes et de photographes… Mais à Ras Jdir, je n’ai pas vu les détenteurs des sciences politiques, qui vont pourtant inonder le monde d’analyses et de réflexions…
Je n’ai pas pris de photos, j’en étais incapable… Je n’ai pas filmé, ça ne me serait pas venu à l’esprit… Mais les images sont définitivement gravées dans ma tête. L’une d’elles semble être une copie de milliers d’autres prises dans des endroits différents du monde et arrivées jusqu’à nous grâce aux photographes et aux technologies modernes… Il s’agit de celles qui montre une queue de plusieurs milliers de personnes en mouvement vers un « nowhere »… Des personnes sans identités apparentes, presque « invisibles » et marchant en silence, traînant ou portant une valise qu’on imagine remplie de quelques vêtements sauvés, presque par miracles, et sur leurs têtes un ballot de couvertures… en prévision du froid de la nuit qui s’approche.
Ils quittent le premier point d’arrivée en traversant la frontière, où certains ont déjà passé jusqu’à 5 ou 6 jours d’attente et marchent vers un deuxième point d’attente distant d’environ 8 kilomètres du premier… S’ils ne restent pas sur place, les plus chanceux (tout est relatif) partiront directement à l’aéroport de Djerba ou au port de Zarzis d’où ils embarqueront en direction de leurs pays d’origines. Les autres rejoindront des centres d’accueils en attendant que des moyens de transports soient mis à leur disposition… en attendant, ils auront moins froid, pourront profiter de quelques douches, des toilettes… et de soins un peu plus intensifs…
A Ras Jdir, je me suis dis que du coté de Tunis, environ 45 jours après la chute de Ben-Ali-Trabelsi…, la Kasba qui vient d’enregistrer une nouvelle très belle victoire POUR la Tunisie… Les décisions de ces dernières 24 heures sont parmi les plus importantes depuis le 14 janvier 2010 : une date pour l’élection d’une assemblée constituante, l’interdiction aux membres du gouvernement provisoire de se présenter aux prochaines élections présidentielles (quand on sait que certains leaders de l’opposition ont accepté des postes dans le premier gouvernement Ghannouchi, majoritairement RCDiste, rien que pour se faire de la PUB…), la mise en sommeil prolongé (coma artificiel) des deux assemblées, l’accusation de haute trahison porté par le nouveau premier ministre à l’encontre de l’ancien dictateur… L’extraordinaire solidarité que j’ai vu à Ras Jdir est fille de cette révolution… toujours en marche…, J’ai la faiblesse de croire qu’elle n’aurait pas été pareille trois mois avant, sous BenAli-Trabelsi…
https://www.facebook.com/notes/habib-ayeb/de-ras-jdir-%C3%A0-la-kasba/10150099911351216
Follow Us