Gilbert Naccache, le 13 février 2011
Au moment où le mouvement révolutionnaire semble marquer une pause, où les revendications sectorielles se multiplient, généralement appuyées par des grèves, mal perçues par l’opinion, où l’insécurité est loin d’être passée, la question qui se pose aux révolutionnaires, organisés ou non dans les comités régionaux de protection de la révolution est la suivante:
quelles sont les priorités?
Certains, très nombreux, presque l’unanimité dans le pays et donc également le Comité national provisoire de défense de la révolution, avancent le mot d’ordre d’élections d’une assemblée constituante. Ils ont raison, on ne sortira pas de la situation politique actuelle sans rompre complètement avec les structures politiques du passé, mais ces élections posent de nombreuses questions ; à ces questions sont apportées de différents côtés des réponses variées, mais aussi peu convaincantes les unes que les autres : ce n’est certes pas le gouvernement provisoire, qui veut assurer la transition dans la continuité, qui prendra l’initiative, en convoquant une assemblée constituante, de mettre fin à la soi-disant légalité constitutionnelle, qui implique des élections présidentielles et législatives ; le président par intérim, homme du passé, n’a pas de raison sérieuse, en dehors d’une pression importante de l’armée ou d’une formidable mobilisation populaire, de remettre tous les pouvoirs à un comité, qu’il soit issu d’un congrès (dont on ne voit pas très clairement comment on désignera les congressistes) ou qu’il soit le résultat de désignation par des sages ou autres hommes d’expérience, ou même qu’il représente des comités régionaux. On voit bien que la question n’est pas de demander la convocation d’une assemblée constituante, la plupart des gens la demandent, c’est de créer les conditions d’un affaiblissement tel des structures provisoires du pouvoir qu’elles soient amenées à laisser la place, à « dégager », pour qu’un organe représentatif ou qui a la force armée puisse dissoudre le parlement et convoquer une assemblée constituante.
Mais ce n’est pas le seul problème. Il y a aussi le déroulement même des élections : les listes électorales seront-elles révisées, et par qui ? Les électeurs se retrouveront devant de multiples candidatures ; celles-ci seront-elles possibles pour tout le monde, pourra-t-on garantir aux différents partis et à ceux qui veulent faire acte de candidature qu’ils auront eu les moyens d’une campagne électorale ? Aura-t-on laissé à chacun un temps suffisant pour lui permettre de se renforcer, de mettre au clair ses programmes, d’unifier ses rangs, de définir ses alliances ? La question n’est donc pas seulement celle de la convocation des électeurs, elle est aussi celle de savoir à quel moment une telle convocation sera possible, et dans quelles conditions.
On voit donc que, pour être fondamental, le problème de l’assemblée constituante ne peut être la grande priorité des révolutionnaires, qui peuvent d’ailleurs d’ores et déjà définir des exigences constitutionnelles, comme la nécessité de voir garantir une très large décentralisation des pouvoirs et un affaiblissement du pouvoir exécutif par rapport aux deux autres pouvoirs…
Mais la grande priorité doit être de renforcer les organes représentatifs des révolutionnaires et, en premier lieu, les comités locaux et régionaux de protection de la révolution. Ils ont besoin de couvrir tout le territoire national et d’intégrer en leur sein tous ceux qui ont fait la révolution, tous ceux pour qui cette révolution doit être l’occasion de changer complètement leurs rapports aux autres et à la vie. Il n’est pas exclu que puissent exister des comités sectoriels, qui paraissent plus évident pour les artistes, par exemple. Ces comités ont déjà joué un rôle important en matière de sécurité, et peuvent encore le faire, d’autant mieux qu’ils seront plus largement implantés dans les localités et les régions.
Il s’agit donc de renforcer les comités (et donc le comité national), ce qui peut être obtenu de différentes façons simultanée :
1) Une campagne systématique de recrutement, basée sur des textes définissant les comités et leurs tâches : il existe déjà une première déclaration à faire adopter, il faut que soit rapidement préparée et diffusée une charte qui précise les contours et les principes d’action de ces comités : les valeurs de la révolution, l’égaliré, les droits humains, les droits des femmes, ceux des enfants, la non-discrimination entre peuples, individus, régions, etc., ces valeurs doivent être précisées La campagne de recrutement devrait intensifier la présence des comités existants, et s’efforcer d’en susciter la création dans les endroits où ils n’existent pas encore.
2) La tenue régulière de réunions ouvertes à la population par les comités à tous les niveaux. Ces réunions ont pour objet de faire le point sur la marche de la révolution : problèmes d’ordre politique, définition des mots d’ordre et des campagnes de mobilisation pour faire échec aux manœuvres visant à contrarier la révolution ou à la détourner de ses objectifs : les jeunes révolutionnaires ont montré leur capacité à se diriger dans la lutte, ils apprendront dans ces réunions à systématiser leurs politiques.
3) Mais aussi ces réunions doivent aussi définir les besoins de la population, besoins immédiats ou à termes. Elles ont également un objet très important : définir les actions de reconstruction ou de réaménagement des espaces, actions à mener collectivement, avec l’aide des individus et organisations du monde entier qui veulent se solidariser de notre révolution.
4) La constitution, au sein des comités, de cellules de suivi de ces réunions : leur rôle sera d’abord de répercuter au niveau national les conclusions de leurs réunions et de les rendre publiques (rôle d’un journal national à lancer d’urgence, appuyé par des journaux régionaux) ; il sera ensuite de centraliser les projets de développement collectifs, de les faire financer et appuyer au niveau de l’expertise et de l’encadrement technique, et d’en être les responsables devant les partenaires étrangers ou nationaux. Si de tels projets étaient mis en œuvre rapidement, ils apporteraient en même temps des ressources pour la région et des solutions aux problème du chômage, sans parler de la solidarité entre tous les citoyens, jeunes et moins jeunes, femmes et hommes, travailleurs et actuels chômeurs…, qu’ils pérenniseraient.
Par ces actions, coordonnées au niveau national par le Comité National, les comités avanceront dans le processus concret d’alliances entre toutes les classes de la société: petits commerçants, artisans et entrepreneurs qui se verront offrir de nombreuses opportunités, grands entrepreneurs qui fourniront une bonne part des moyens nécessaires à ce « développement par le bas », qui assureront le transport de tout ce qui est nécessaire, ouvriers et employés qui recueilleront leur part des fruits de l’activité économique. Nul doute que les citoyens demanderont l’amélioration et le développement des équipement collectifs, sociaux, culturels et de santé : il y aura ainsi une importante source d’emploi, notamment pour les diplômés, sans parler des acteurs culturels qui seront sollicités à chacune des phases de ce processus…
Soudés autour des comités de protection de la révolution, dans lesquels ils verront leur moyen de lutte et de vie, les tunisiens, véritablement unis par le combat et le travail commun, pourront exiger et obtenir d’un pouvoir central de plus en plus faible, non seulement des choses comme la convocation d’une assemblée constituante, mais aussi son départ au profit d’un pouvoir réellement populaire qui œuvrera à la réalisation d’une véritable démocratie politique, d’une égalité réelle entre tous les citoyens, entre les femmes et les hommes, entre les urbains et les ruraux, entre les riches et les moins riches…
publié par Gilbert Naccache sur Facebook le 14 février 2011
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