Gilbert Naccache – 9 mars 2011
Au vu de l’appel à un large «front.des forces patriotiques, démocratiques et indépendantes pour une assemblée constituante», j’ai eu d’abord la réaction suivante : encore un front ! C’est-à-dire une alliance de mouvements, institutions ou individus sur quelques points qu’ils sont censés défendre ensemble. Personnellement, j’ai tendance à me méfier d’un processus où, comme actuellement en Tunisie, on parle de rassembler avant de se définir, mais ce n’est pas grave, après tout : si des gens ont envie de faire quelque chose, et qu’ils ne sentent pas prêt à en lancer l’initiative seuls, c’est leur affaire ; mais qu’ils appellent à un front, c’est que, nécessairement, ils s’adressent en priorité à des forces politiques existantes, car on ne construit pas un front avec des individus, on construit alors un mouvement. Et, pour préparer des élections, s’il est tout à fait possible de présenter un front, il faut être très clair, par honnêteté envers les citoyens, et définir et bien exposer les contours politiques de chaque composante du front en question. Le citoyen a le droit de savoir, non seulement pour quel programme, mais pour quelles tendances il est appelé à voter. Alors, ma première question est : « Qui lance cet appel ? » Comme il a été repris par plusieurs personnes, sans précision d’organisation, et, on est en droit de regarder le nom des signataires de l’appel et d’essayer de les identifier. Il me semble que certains signataires pourraient être liés aux comité de défense de la révolution, mais agissent-ils en tant que tels ou en tant qu’acteurs politiques, il n’est pas possible de répondre à la question, et c’est fâcheux, car on ne peut que s’interroger sur le but de cet appel.
Il est y dit qu’il s’agit de réunir «ceux qui ne se reconnaissent pas dans la mosaïque politique actuelle».C’est donc de créer une nouvelle force politique qu’il est question !
Mais il était précisé auparavant :«Il est impératif de se doter d’une forme d’organisation la plus large et la plus flexible possible englobant toutes les associations représentant la société civile, les forces patriotiques et démocratiques et tous ceux qui souhaitent vivre dans une Tunisie meilleure.»
On veut donc créer une organisation politique avec les associations de la société civile, c’est-à-dire tout simplement faire disparaître ces structures de la société civile, les noyer dans l’action politique.
Si la Tunisie a un espoir de poursuivre sa marche révolutionnaire, c’est grâce à la société civile, à son indépendance par rapport aux organisations politiques. Le projet auquel on nous appelle revient à supprimer cette indépendance. Et à retourner à un passé où ne pouvait exister aucune expression autonome de la société civile, à l’expression des quelques associations qui ont défendu cette autonomie, la payant souvent cher. Et comme je ne veux pas y retourner, quelque soit la pureté des intentions des initiateurs de l’appel, je leur demande de renoncer à cette initiative. Puisqu’ils ne se reconnaissent pas dans la mosaïque politique actuelle, qu’ils créent un nouveau mouvement politique et qu’ils laissent la société civile en dehors de leur projet, elle ne s’en portera pas plus mal.
publié par Gilbert Naccache sur Facebook le mercredi 9 mars 2011
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