Je crois devoir faire les commentaires suivants :
Premièrement, le peuple n’a pas voté massivement pour l’islam politique. D’abord, et sous réserve de données chiffrées officielles, dont on disposera sans doute avec les résultats officiels, près de la moitié des Tunisiens en âge de voter ne se sont pas inscrits et n’ont pas participé aux élections, marquant ainsi leur refus de ce qui se passe. Il faudra avoir une idée précise sur ces abstentionnistes : leur sexe, leur âge, leur localisation, leur situation professionnelle…, pour analyser sans se tromper le sens de leur attitude. Mais on peut d’ores et déjà penser qu’il y a une bonne part de méfiance et de rejet des partis et des élites. La Tunisie, neuf mois après la chute du régime de Ben Ali, resterait-elle partagée en deux parties qui ne parviennent pas à communiquer entre elles ?
Ensuite, ceux qui ont voté pour Nahdha n’ont fait que suivre la logique et le bon sens (je ne parle pas de tricheries, d’achat de voix : d’autres partis ont fait de même, voire pire, et ont subi une cuisante défaite, et j’espère que toutes les irrégularités seront sanctionnées) : tous les partis politiques, dans le sillage de Nahdha, n’ont pas voulu parler de constitution, l’objet véritable de la consultation, mais ont préféré venir sur le terrain des islamistes, le terrain des grandes déclarations d’intention politiques, économiques et sociales. Sur ce terrain, celui de l’exclusion et de la peur de l’autre (et non de la recherche du dialogue) pour certains “laïcs”, celui des promesses vaines pour les autres, la Nahdha était la plus forte, et avait le plus d’arguments. Elle aurait été battue si on avait parlé sérieusement constitution. Alors, n’accusons pas le peuple, notre déception ne lui est pas imputable, il faut la reprocher aux partis soi-disant “civils” qui, depuis le début, n’ont cherché qu’à gagner leur place dans le pouvoir.
Deuxièmement : il ne faut pas chercher de bouc émissaire, comme Béji Caïs Essebsi ou Yadh Ben Achour: le fameux comité de protection de la révolution, fruit de l’usurpation par les partis politiques, avec à leur tête Nahdha, des directions des comités locaux, est celui-là même qui, par l’intermédiaire des partis a imposé à la Haute instance… le mode de scrutin favorable aux partis et à toutes les confusions. Les responsabilités sont multiples, mais la principale revient à ces partis qui, en plus, ont refusé pendant huit mois de préparer un projet de constitution, ou même d’en discuter, se plaçant sur le terrain de la lutte pour le pouvoir, terrain où ils n’étaient pas les plus forts. Si le débat avait porté sur le contenu de la constitution, c’est-à-dire sur les bases de la société née de la révolution, nul doute que les résultats auraient été autres.
Par ailleurs, il faudrait insister sur une chose fondamentale : ces élections, qui ont enregistré entre autre le retour légitime de Nahdha sur la scène politique, donnent à cette dernière, comme aux autres partis, des responsabilités en matière de conduite démocratique. Elles donnent aussi aux autres partis, et en particulier à celui de Mustapha Ben Jaafar, de réelles responsabilités en matière d’écriture d »une constitution de la révolution et d’équilibre du pouvoir transitoire.
Enfin, pour ce qui est des Essebsi, Ben Achour et autres, il faut leur rendre justice : malgré tout, malgré leurs envies et les pressions qu’ils ont subies, ils nous ont conduits à ces élections, et donc sortis de la période d’illégitimité de tous les pouvoirs : on va pouvoir demander des comptes aux responsables, ce n’est pas rien ! Quant à Kamel Jendoubi, je crois inutile de lui rendre hommage : il est incontestablement du côté de la révolution et ne pouvait agir que comme il l’a fait, avec un grand courage, une énorme détermination et une grande finesse. On ne se remercie pas entre nous, on se soutient.
De plus, les partis se sont trompés d’élections, ne faisons pas de même : les résultats du scrutin de dimanche ne concernent pas les chois politiques ou les décisions engageant le pays, à part la constitution. Du point de vue politique, le pouvoir transitoire, gouvernement, président et assemblée constituante, devra s’en tenir à la solution de problèmes urgents, et qui ne requièrent pas de voter des lois dont on pourrait contester la constitutionnalité. Les « dégâts » seront donc limités surt le plan politique, d’autant que personne ne pourra gouverner sans alliances ; sur le plan de la constitution, il revient à nous de poursuivre le travail de discussion de notre projet avec les citoyens et de maintenir une pression suffisante sur l’assemblée constituante. Et le premier acte de cette pression sera d’exiger la retransmission en direct des travaux de l’assemblée sur une chaîne de télévision spécialement consacrée à cela. Il y rb aura d’autres, dans notre logique de democratie participative.
Follow Us