La société civile, du moins une grande partie de cette société, a été heureuse de manifester en grand nombre samedi dernier pour les libertés. Si elle s’est posé des questions sur la façon dont la manifestation a été préparée, sur le rôle des uns et des autres, elle n’en a pas moins participé avec enthousiasme à ce qu’elle considérait comme une nécessité vitale. Et elle a eu raison, on ne doit pas reculer sur les libertés.
Il est cependant notable que l’appel à cette action ait été lancé par des partis politiques présents à l’ANC, repris par d’autres partis ou personnalités politique aux desseins plutôt troubles et aux rapports pour le moins équivoques avec la révolution. Tout ce monde, qui n’a guère été à l’avant-garde de la révolution, quand il n’a pas été dans les rangs de la contre-révolution, a donc besoin de la société civile et n’hésite pas à la mobiliser ! Les derniers temps du régime de Ben Ali nous avaient habitués à un spectacle différent : la société civile d’alors, qui avait le plus grand mal à seulement exister, lançait des initiatives en faveur des libertés, et les partis politiques lui emboîtaient le pas, sauf pour le parti dominant, le RCD, dont les descendants aujourd’hui soi-disant dispersés affirment avec une certaine insolence un tout nouvel amour pour les libertés, celles-là même qu’ils avaient étouffées quand ils étaient au pouvoir ! On ne peut s’empêcher, devant cette quasi-unanimité des partis extérieurs à la troïka, de penser que leur intentions ne sont pas tout à fait aussi pures, qu’il y a des arrière-pensées chez certains d’entre eux, et que les autres ne font pas grand cas de la révolution lorsqu’ils se sentent menacés dans leurs ambitions. Soyons clairs : les partis qui ont appelé à la mobilisation ont réédité, avec moins de netteté, l’opération « coupole » (qoba) de la fin de l’ère Ghannouchi, mais cette fois-ci contre les islamistes et non contre le « peuple de la révolution », de toute façon absent de leurs préoccupations.
La plupart de la société civile a participé à cette action sans illusion sur les intentions des uns et autres, déterminée à ne pas se laisser instrumentaliser. Car il faut prendre garde à ce que cette belle manifestation ne serve pas en fin de compte à remettre en selle les ennemis les plus déterminés de la révolution : comme un certain 7 novembre, les avatars, pour le moment dispersés (ils avaient ainsi l’air plus inoffensif), du RCD, mafieux et socle de la mafia benalienne, nous assurent de leur attachement aux droits humains et aux libertés. Non, mesdames et messieurs qui vous êtes déguisés en grand-mères de la fable, nous savons que vous êtes des méchants loups et que vous n’avez d’autre but que de nous manger. Vous vous rangez derrière un vieillard apparemment incapable de nuire, mais qui a tout fait pour vous épargner, alors que la révolution était dirigée essentiellement contre vous, et ce vieillard, et d’autres comme Mansour Moalla, qui fut une de vos victimes, vous pardonnent votre trahison du bourguibisme et vous aident à ressusciter, paniqués qu’ils sont devant la révolution populaire. Vous caressez ce « peuple de la coupole », peut-être même croyez-vous qu’il sera votre base populaire, mais vous ne voulez en réalité que continuer ce que votre lâcheté vous avait empêché de faire en janvier 2011 : vous en tenir au départ de Ben Ali et les siens et rebâtir votre domination, celle du RCD sur le pays, bien sûr en lui trouvant un nouveau nom, comme vous l’aviez fait après le coup d’Etat de novembre 1987.
Les confusions que votre mentor (vous devez bien à Caid Essebsi de lui laisser une place importante après tout ce qu’il a fait pour vous) n’a cessé d’entretenir, le chaos apparent qu’il a créé dans le pays, ne devraient pas nous faire oublier que tout comme Bourguiba et Ben Ali, il n’utilise le chiffon rouge du danger islamiste que pour mieux écraser toute opposition au retour de la dictature contre le peuple. Mais celui-ci ne se laissera pas duper, il a décidé de tourner la page de la soumission et terminera ce qu’il a commencé : la révolution exige la liquidation totale du parti unique oppresseur, le peuple veut, et obtiendra, la disparition du Destour et de tous ses avatars, le RCD ou ces partis dont les dirigeants ne peuvent prononcer le mot révolution sans avoir l’air de s’en excuser…
Réglons d’abord le compte de ces débris de l’ère Ben Ali et ne leur donnons pas le prétexte de leurs sentiments anti-Nadha pour leur permettre de survivre en tant qu’organisation, politique ou autre. Quant à la question de la défense des libertés arrachées par la révolution, cette défense relève de la société civile, du peuple : que les partis qui s’étaient opposés à la dictature ne se trompent pas de cible, l’histoire ne leur pardonnera pas des accommodements avec l’ennemi de notre peuple : en finir avec le RCD est une priorité absolue.
publié par Gilbert Naccache sur facebook le 30 janvier 2012
Follow Us