A un ami qui accusait récemment les membres du CPR de se charger des tâches ingrates à la place et pour le compte d’Ennahdha, j’avais répondu avec indignation qu’on ne devait pas insulter les gens ainsi, que le CPR était, comme son nom l’indique, un parti républicain, et qu’il tirait sa ligne politique de cette caractéristique, même si on pouvait mettre des contenus parfois différents dans l’acception du mot république, et si on n’était pas toujours d’accord sur cette ligne. J’ai un peu regretté ma réaction envers mon ami en apprenant que les représentants du CPR à la Constituante avaient proposé d’annuler le mariage civil, plus exactement de faire célébrer les mariages par des notaires et non plus par des officiers d’Etat civil. http://www.assabah.com.tn/cont.php?ID_art=64945
Ce projet pourrait avoir pour but de simplement supprimer de l’officier d’Etat civil dans la cérémonie, et le remplacer par un notaire qui serait tenu aux mêmes engagements que ceux qu’il a actuellement, lorsqu’il préside à un mariage suivant délégation, à savoir transmettre ses actes à l’Etat civil, le reste des dispositions restant inchangées. Mais alors quel serait l’intérêt de cette loi qui réduirait le rôle de la mairie, remplaçant un élu par un professionnel pour cet acte hautement social qu’est le mariage ? Donner davantage de travail aux notaires dit le groupe qui a déposé le projet. On y reviendra.
Mais en fait, c’est le premier pas vers le de remplacement de l’Etat-civil, tenu par la municipalité, qui est une institution de la république, par un corps indéfini qui serait l’émanation des notaires, et ce serait la mort effective du mariage civil et de la confirmation par une instance officielle de l’acte d’union des intéressés, le mariage échappant désormais au contrôle, ce qui ouvrirait la porte de la polygamie et… de la répudiation. Dans ce cas, mon ami aurait eu largement raison, et le CPR serait bien le fourrier d’une autre force politique.
Deux arguments sont donnés en faveur de cette proposition : d’abord, elle permettrait de donner 300 emplois à des diplômés de la Faculté de théologie. Trois cents emplois ! Pas moins ! Il est extraordinaire que, lorsqu’il y a près d’un million de gens sans travail, on ait trouvé cette solution, que n’y avait-on pensé plus tôt ! Faire des lois pour retirer le travail des élus, qui répondent de leur conformité aux lois de la République et le donner à des diplômés chômeurs, voila une riche idée ! Il faut avouer que 300, ce n’est pas beaucoup. On pourrait chercher d’autres secteurs, peut-être résoudra-t-on ainsi le problème du chômage, nos députés ont envisagé aussi les contrats immobiliers,… Il faut être sérieux, cela ne peut pas être le but d’une proposition de loi déposée par des élus responsables.
Voyons la seconde raison avancée : cette loi permettra d’harmoniser notre législation en la matière avec celle d’autres pays arabes, comme l’Egypte et le Maroc. Et voilà, il n’aura pas fallu plus de treize mois après la révolution pour que ces adhérents du CPR ne disent la honte qu’ils éprouvent – qu’ils ont toujours éprouvée ? – à faire partie d’un pays qui, en matière de statut personnel, est en avance sur tous les pays arabes. Ils veulent faire reculer le pays, le ramener, sur ce plan, à celui du Maroc ou de l’Egypte. Pourquoi sur ce plan seulement ? Pourquoi pas sur celui su régime (la monarchie est-elle si affreuse?) ou sur le mode de pouvoir (l’armée n’est-elle pas capable de gouverner?), et sur d’autres plans encore… Non, Messieurs du CPR, nous ne voulons pas aller en arrière! Vous voulez aller contre l’histoire, contre la révolution, que ne le disiez-vous avant les élections!
Je ne vois pour ma part qu’une explication : cette proposition de loi, premier pas vers l’annulation du mariage civil, est une attaque contre le code du statut personnel, la préparation de la réalisation des objectifs du mouvement Ennahdha, objectifs qu’il n’a pas osé affirmer, prétendant plutôt qu’il ne toucherait pas à ce code.
Il y a peut-être une dernière petite chance de me donner tout de même raison : que Moncef Marzouki, entre deux visites guidées du palais de Carthage, désavoue les représentants CPR auteurs de la proposition de loi et réaffirme l’intouchabilité de l’Etat-civil dans la Tunisie, Etat civil, n’est-ce pas ?, où les relations personnelles et familiales sont régies par un code du statut personnel qu’il ne s’agit pas de détruire, mais de sauvegarder et d’améliorer dans le sens de la liberté, de l’égalité et de la dignité de tous. Mais le Président provisoire de la République trouvera-t-il le temps, au milieu de ses multiples tâches, de se rappeler qu’il fut à une époque défenseur des droits de l’Homme, plus précisément de la personne humaine ?
GN – 24 février 2012
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