Azyz Amami : un procès contre la révolution

15 maggio 2014: sit in per la liberazione di Azyz Amami
Foto: Patrizia Mancini

Patrizia Mancini
Le jeudi 15 mai, à l’issue d’une audience préliminaire devant un juge d’instruction du tribunal de première instance de Tunis, le parquet a émis deux mandats de dépôt à l’encontre du bloguer et activiste Aziz Amami et de son ami photographe Sabri Ben Mlouka. Le procès pour consommation et détention de produits stupéfiants se tiendra devant une juridiction pénale vendredi 23 mai. Entretemps les deux jeunes resteront en prison car l’emploi généralisé de la détention préventive était et reste une pratique courante en Tunisie.
Une foule importante était rassemblée aux abords du tribunal pour réclamer la libération des deux jeunes et dénoncer ouvertement l’accusation instrumentale portée contre l’un des personnages le plus emblématiques de la révolution.
Originaire de la région de Sidi Bouzid (où le 17 Décembre 2010 Mohamed Bou Aziz s’est immolé en déclenchant les émeutes révolutionnaires), Azyz Amami, 31 ans, est parmi les militants et les activistes qui pendant ces trois dernières années ont continuellement dénoncé la  marginalisation et l’injustice subies par les parents des victimes et des blessés de la révolution. Arrêté et sauvagement battu par la police de Ben Ali le 6 Janvier 2011, Azyz est un révolutionnaire avec un esprit anarchique, cynique, intelligent et sarcastique. Un ennemi juré de la police et un symbole pour tous les jeunes qui croyaient dans les revendications révolutionnaires. Mais Azyz était aussi une épine dans le pied du ministère de l’Intérieur, qui à travers ses forces de police, inattaquables et soustraites à toute critique, se venge lentement, mais sûrement, des jeunes qui ont participé à la révolution.
Azyz et son ami photographe Sabri Ben Mlouka ont été arrêtés par la police à la Goulette, dans la nuit du 12 et 13 mai, mais le blogueur n’a signé aucun verbale et refusé de se soumettre à des tests d’urine. Dans les jours avant son arrestation, le blogueur   avait dénoncé  la persécution policière et judiciaire que des  nombreux jeunes sont en cours de souffrir depuis un certain temps. Et cela sans que les médias “mainstream”, concentrés sur la normalisation  «technocratique» de l’actuel gouvernement et heureux pour le retour des touristes, n’y prêtent la moindre attention.
Plusieurs jeunes sont en effet accusés d’avoir brulé des commissariats ou des sièges de la Garde nationale  pendant la révolution. C’est un paradoxe évident, car c’est comme si la révolution elle-même avait été un crime. Pour faire face à ces abus, ces jeunes sont pratiquement seuls, comme ils sont seuls, d’ailleurs, les blessés de la révolution et les parents des victimes assassinées par la police de Ben Ali. Les parties, y compris ceux de gauche, n’en parlent pas. Il n’y a plus une “dictature islamiste” à qui l’on pourrait reprocher les abus que subit à nouveau une bonne partie de la population, mais un “gouvernement technique” qui est le résultat d’un dialogue national. Formellement, il y aussi la “constitution la plus belle du monde “,  récemment votée par la presque totalité des représentants, et il y a  liberté d’expression.
Alors que le gouvernement s’incline devant les diktats du Fonds monétaire international, préparant le pays à une situation  comme celle de la Grèce, et la jolie jeune ministre du tourisme Amel Karboul participe à des événements mondaines  pour encourager le retour des touristes, ces monades parfaites qui sont devenus les parties politiques tunisiens s’occupent uniquement d’eux-mêmes et des futures élections. Ni Ennahda, ni Nida Tounes se sont prononcés sur l’arrestation de deux jeunes hommes, ni, malheureusement, le Front populaire (gauche radicale).
Pendant la révolution, Azyz publiait sur son blog des pamphlets contre Ben Ali et diffusait vidéos témoignant la répression policière. Depuis, son engagement ne s’est pas arrêté et ces derniers temps   avait dénoncé le climat répressif et vindicatif qui frappe les protagonistes des soulèvements populaires d’il y a trois ans. Avec la campagne «Ena Zeda7rakt Markez” (J’ai également brûlé un poste de police), lancée sur les réseaux sociaux, Azyz voulait démystifier la tentative d’effacer la mémoire de la révolution qui, malheureusement, à l’exception d’une petite minorité de la population, ne semble  scandaliser personne. Dernièrement, Azyz avait participé à une transmission télé où il citait les témoignages des personnes dans certaines régions du pays qu’ils avaient vu de leurs propres yeux les policiers eux-mêmes mettre le feu à des commissariats de police. Pendant la transmission, Azyz avait aussi annoncé un travail de collecte de données pour recenser tous les jeunes jugés ou accusés pour les actions de la révolution 2010 et 2011.
Aujourd’hui, au sit-in devant le tribunal, j’ai rencontré un de ces jeunes, Khalifa Noomen de la ville Djebeniana (une ville résistante, comme il dit), qui justement a été récemment poursuivi pour «actes de terrorisme» commis pendant la révolution! Khalifa est un autre militant qui a toujours été proche des familles des victimes et à l’appui de leurs demandes de vérité et de justice.
Selon un premier bilan, les personnes qui ont été accusés d ‘«actes de violence» commis pendant la révolution, et dont certaines ont été condamnés de un à trois ans de prison, seraient, de Tunis à Djerba, au moins une cinquantaine.
Azyz Amami est accusé de consommation de cannabis et le débat se penche sur la célèbre loi 52 (la loi sur les stupéfiants), qui est un triste héritage de la dictature. Son père Khaled Amami et ses compagnons, cependant, affirment que  l’accusation est seulement un prétexte pour  faire taire les blogueurs. Ils sont donc conveencus, non sans raison,  que centrer le débat sur la nécessité de modifier cette loi risque de détourner l’attention des vrais problèmes. Les problèmes sont le retour aux anciennes pratiques répressives du ministère de l’Intérieur, dans le silence ou la passivité des partis, mais aussi la trahison des revendications révolutionnaires, la presse et la télévision qui s’habillent de nouveau en  “mauve” (la couleur symbole de la dictature) et la répression de la jeunesse révolutionnaire.
Maher Hamdi, un militant de l’UGTT (le plus grand syndicat tunisien) ce matin a énuméré à haute voix ces éléments devant le tribunal de Babnet. Il faisait aussi référence à d’autres épisodes de répression masquée, comme la convocation LE 14 MAI du journaliste Taofik Ben Brik devant la Direction Générale de la Garde Nationale des Enquêtes de l’Aouina, suite à une plainte pour diffamation déposée par un syndicat de police.
Pendant ce temps, tandis que  Azyz est en prison, le 14 mai la section d’enquête de la Cour d’appel de Tunis a révoqué l’interdiction de voyage  pour Ali Seriati, ancien chef de la sécurité du dictateur Ben Ali, qui probablement sortira définitivement de prison le 21 mai.
C’est l’un des effets tangibles de l’arrêt  du tribunal du 12 Avril, qui a drastiquement réduit la peine infligée à Seriati pour la répression brutale des soulèvements révolutionnaires qui ont secoué la Tunisie entre Décembre 2010 et Janvier 2011.
Le 13 mai, dès qu’il a pu voir son père, Azyz lui a dit, “Je suis contre cet Etat et ces lois : je ne demande rien et je ne veux rien d’eux”. Non, Monsieur le Premier ministre, Azyz n’est pas sympathique et restera une épine dans le pied de ce système
 Traduit de l’italien par Mario Sei
publié ici en italien et ici en espagnole