Élections en Tunisie: L’opinion de Nicolas Sabil

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Nicolas Sabil

Les résultats estimés, il ne s’agit pas encore du “complet”. Au delà des lectures stérilisantes et très décalées sur la victoire des “laïcs” contre les “islamistes”, il ne faut pas oublier que:
– la campagne législative s’est traduite par un certain sentiment d’apathie et de manque d’engouement. Le fort taux d’abstention (moindre que ce que l’on croyait heureusement) traduit aussi un refus, une révolte, ou à un dégagement du politique, c’est selon, chez des catégories importantes de la population tunisienne, notamment populaire.

- l’islam politique n’est pas laminée: Nahda s’installe correctement dans le champ politique, certes en deuxième place. Il faut compter aussi sur ce que la société tunisienne compte d’islam politique n’ayant pas voté: du Hezb at Tahrir de rida belhajj ( boycottant), à la vaste mouvance salafiste, il y a toujours une Tunisie religieuse de derrière la scène. Ce qui est certain, c’est qu’un discours “revanchard” de Nidaa ( ou d’autres), pourrait avoir bien des conséquences catastrophiques.
– On entend beaucoup de voix dire que Nida Tounes, ce n’est pas le RCD. c’est en partie vrai. Nidaa Tounes résulte d’un compromis entre de vieilles élites bourguibistes marginalisées par Ben Ali, des appels au centre gauche, et certains milieux d’affaire émergents. Mais il sert aussi de boîte de recyclage pour tout un ancien appareil rcdiste ( y compris, et surtout, à la base) qui ne s’est pas évaporé magiquement après la révolution.

- On a des tendances lourdes et historiques: le discours bourguibiste est une réalité nationale, qui a participé de la construction nationale qui pèse et qui pèsera. Le discours islamiste ne nait pas avec Nahda ou avec le Mouvement de la tendance islamique: il s’ancre dans un débat fondamental dès la naissance du mouvement national tunisien, qui existait déjà dans le premier destour. Le débat autour de la place de la religion dans la construction nationale dure depuis longtemps, il n’est surement pas prêt de se terminer.

- en terme de tendances longues, il n’est pas anodin de voir que des trois grandes tendances qui pouvaient exister dans les années 1970 et 1980, de gauche, islamistes et destouriennes, la première a pas mal résisté dans le dernier scrutin. Les assises, notamment syndicales, du Front populaire, s’ancrent là aussi dans une histoire plus profonde, remontant au Travailleur tunisien. Elle a d’autant mieux résisté que sa politique fut, ces deux dernières années, parfaitement incompréhensible, si ce n’est opportuniste: partant d’un Ni Nidaa ni Nahda, il se détourne vers une alliance avec Nidaa dans le cadre d’un Front de salut national, pour repartir de plus belle en indépendant pour les élections. Reste à voir si la gauche radicale, sortie vivante de la bipolarisation politique, saura préserver cette fois son indépendance, en ne cédant pas aux sirènes d’une unité nationale dans laquelle elle a tout à perdre…

- La troika est finie: de ses trois formations, seul Nahda s’en sort vivant. C’est aussi un certain discours de centre-gauche qui semble ne jamais pouvoir trouver sa place en Tunisie: le Takkatol, le CPR et le Joumhouri sont laminés. Cela renvoie sans doute à un réel manque d’ancrage social, ou à des options en contradiction avec les aspirations de cette base sociale, tout du moins pour deux de ces formations ( le joumhouri et le takkatol).

- le seul élément réellement nouveau: l’émergence d’un discours économique ultra libéral mais démocratique, porté par de nouvelles élites émergentes, comme afaq tunis, et qui ne correspond pas tout à fait, contrairement à nidaa, à une tentative de recyclage de l’appareil et du petit fonctionnariat de l’ex-RCD. Et la naissance d’un discours néo-populiste autour de l’UPL de Riahi, qui ne s’inscrit pas là aussi dans l’héritage destourien d’un côté, islamiste de l’autre.
Bref, un paysage politique tunisien traversé par l’histoire ( Destouriens, islamistes, voir ancienne gauche radicale sont encore là, et ne disparaitront pas…), des éléments qui viennent un peu contrarier, à la marge, ces continuités ( le vote afaq et UPL, à analyser à l’avenir….). Et des négociations en cours qui en diront beaucoup sur l’avenir de la Tunisie!

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