Gilbert Naccache
La révolution tunisienne s’est présentée comme un acte éminemment solidaire, un moment où, oublieux de toute considération personnelle, les révolutionnaires se sont levés ensemble contre les injustices, les inégalités individuelles et collectives, la suppression des libertés… Ils n’ont pas décidé qui mourrait, qui serait blessé, qui en réchapperait et pourrait poursuivre le combat, ils ont simplement affronté les balles, convaincus qu’ils portaient les exigences de tout le peuple. Et certains sont tombés, les uns pour toujours, les autres blessés plus ou moins gravement.
Ces derniers n’ont pas réclamé les honneurs, ils n’ont pas exigé de l’argent, des décorations, des sinécures, ils ont demandé la justice, ils ont réclamé le droit d’être correctement soignés. Ils n’ont pas compris que les gouvernements qui se sont succédés mettent tant de temps et tant de mauvaise volonté à le faire, ils n’ont pas compris que les plus gravement atteints d’entre eux n’aient pas été envoyés dans des établissements spécialisés à l’étranger pour être correctement pris en charge. Le coût ? Il n’aurait pas atteint, au total, les salaires et indemnités versés pendant un mois ou deux à tous ceux, membres de l’ANC, ministres ou conseillers et membres des cabinets du gouvernement, qui ne seraient pas là où ils sans le courages de ces fille et ces garçons, ces femmes et ces hommes qui ont affronté les mains nues la mort en uniformes.
Le plus urgent n’est de toute façon pas de savoir pourquoi ce comportement ingrat, pourquoi les blessés ont été humiliés, malmenés jusqu’au sein du ministère des droits de l’homme : les explications, et les comptes à rendre, il faut l’espérer, viendront en leur temps. De même qu’il est prématuré de s’interroger sur les motivations de ces médecins qui signent des certificats assurant que tous peuvent être soignés en Tunisie, niant ainsi les lacunes, qu’ils devraient pourtant connaître, du système hospitalier tunisien, que le régime Ben Ali s’était acharné à marginaliser, au mépris aussi de considérations déontologiques liant les chances de guérison aux conditions morales des patients..
Le plus important est qu’une partie des blessés graves ont pu, grâce aux efforts inlassables d‘une poignée de personnes dévouées et humbles, et grâce à des gestes de solidarité ou de charité, être envoyés à l’étranger pour les soins qu’ils attendaient depuis la révolution… Parce que ce collectif de bénévoles était peu nombreux, insuffisamment épaulé et soutenu, il n’a pas toujours pu imposer que la générosité de ceux qui ont apporté un concours, surtout financier, soit toujours canalisée au sein de structures de solidarité ; cela est le meilleur moyen d’exclure complètement les difficilement évitables rapports de pouvoir et de dépendance, inhérents à la charité, et qui s’instaurent dans ce genre de situation.
Et c’est d’autant plus utile que la solidarité active orchestrée par des bénévoles peut faire revenir ces soins infiniment moins cher : alors que les donateurs demandent des devis qu’ils règlent, les acteurs motivés dans la solidarité s’efforceront de susciter une solidarité de médecins, d’infirmier-e-s, de personnel paramédical, de fournisseurs de matériel, de médicaments, etc., pour réduire les dépenses et pour rester fidèles au message de solidarité que la révolution tunisienne a envoyé au monde entier.
Partout où cela n’a pas été fait, efforçons-nous de mettre en place de telles structures de solidarité, non seulement de citoyen-n-es tunisiens organisés ou non dans des associations, au pays et à l’étranger, mais aussi de tous ceux qui peuvent apporter leur pierre à l’accomplissement cette tâche indispensable. Nous devons refuser que les blessés de la révolution soient traités comme du matériel jetable quand on n’en a plus besoin, c’est le moins que nous puissions faire.
Follow Us