Elections en Tunisie : vieilles blessures, nouvelles craintes

int cri group

International Crisis Group  Tunis/Bruxelles, 19 décembre 2014

http://www.crisisgroup.org/en/about.aspx

Briefing Moyen-Orient et Afrique du Nord N°4419 déc. 2014
SYNTHESE

 

Le duel qui oppose le président sortant Moncef Marzouki à l’ancien chef de gouvernement Béji Caïd Essebsi dans le cadre du second tour de la présidentielle, prévu le 21 décembre 2014, révèle les lignes de fracture de la société tunisienne que les élites politiques croyaient avoir résorbées grâce à leur sens du consensus et du compromis. La cartographie électorale des législatives et du premier tour montre une Tunisie divisée entre un Nord en grande partie pro-Essebsi et son parti Nida Tounes, et un Sud majoritairement pro-Marzouki et favorable au parti islamiste An-Nahda. Afin d’éviter que les craintes réciproques finissent par conduire à des violences, le vainqueur de ce premier scrutin présidentiel libre et concurrentiel devra d’abord reconnaitre les inquiétudes de l’électorat du vaincu. Pouvoir exécutif et législatif devront s’engager de concert à traiter la question du déséquilibre régional et prévenir les risques de blocage institutionnel ou de répression des oppositions.

Alimentées par les propos parfois incendiaires des finalistes du second tour et de leurs entourages, plusieurs névroses nationales refoulées par des décennies de dictature ont ainsi refait surface. Le mythe qui entoure la fonction du chef de l’Etat, forgé par plus d’un demi-siècle d’hypertrophie de la présidence, revient en force et exacerbe la confrontation de ces opinions tranchées qui se nourrissent des blessures du passé : éradication brutale du mouvement islamiste sous le président déchu Zine al-Abidine Ben Ali, conflits violents datant de l’indépendance (entre partisans du premier président, Habib Bourguiba, et ceux de son ennemi juré, Salah Ben Youssef) ; antagonismes entre classes sociales ; rivalités entre élites établies (de Tunis et de la côte est) et émergentes (du Sud et de l’intérieur).

De plus, les alliés respectifs de Marzouki et d’Essebsi considèrent leur lutte comme une énième bataille dans une guerre froide à l’échelle régionale, notamment autour de la question islamiste. La Tunisie est ainsi une caisse de résonance des conflits idéologiques qui agitent la région, de la déchirure syrienne et de la montée de l’Etat islamique au Levant à la polarisation politique violente en Libye et Egypte. Les inquiétudes des uns et des autres, retour de la dictature et de la répression d’un côté, crise institutionnelle, renforcement de la fracture Nord/Sud et chaos de l’autre, sont alimentées par la sensibilité nationale au sort des autres pays du « printemps arabe ».

Comme prélude à une charte de responsabilité politique garantissant notamment la préservation des acquis démocratiques et la lutte commune pour l’équilibre entre les gouvernorats, le perdant de l’élection présidentielle devrait, par exemple, adresser une lettre ouverte exprimant ses craintes (et celles de son électorat) au gagnant, qui s’engagerait à y répondre de manière publique. La définition des appréhensions de part et d’autre pourrait contribuer à calmer les tensions, surtout en cas d’écart réduit entre les deux candidats.

Ceci pourrait être suivi de l’engagement du gouvernement, de la présidence et de l’Assemblée des représentants du peuple à répondre ensemble aux craintes les plus répandues dans la société. La signature d’une charte de responsabilité politique, prenant en compte l’échange entre les candidats présidentiels et évoquant les craintes de l’électorat du perdant et celles des autres citoyens, aiderait la Tunisie à résoudre ses contradictions entre ordre et liberté et surmonter les défis qui se présenteront inéluctablement. La communauté internationale pourrait appuyer une telle initiative, laquelle chercherait à prolonger l’esprit de consensus de 2014 sans occulter les véritables clivages qui traversent la société. Ceci permettrait notamment de réduire les retombées néfastes de la polarisation régionale. Face à la maigre récolte du « printemps arabe », la Tunisie reste le dernier espoir d’une transition démocratique réussie. Elle a tout intérêt, comme ses partenaires, à poursuivre dans cette voie exceptionnelle.

Pour lire  le rapport complet:

 http://www.crisisgroup.org/~/media/Files/Middle%20East%20North%20Africa/North%20Africa/Tunisia/b044-elections-en-tunisie-vieilles-blessures-nouvelles-craintes.pdf

 http://www.crisisgroup.org/en/regions/middle-east-north-africa/north-africa/tunisia/b044-tunisia-s-elections-old-wounds-new-fears.aspx?alt_lang=fr