Fakhfakh, enfin un politique !

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Elyes Fakhfakh

Hatem Nafti

Lundi soir, la fumée blanche s’est enfin dégagée du Palais de Carthage. Kaïs Saïed, qui, pour éviter les discussions interminables avec leur lot de thé à la menthe, a demandé aux partis représentés au Parlement de lui envoyer par écrit la liste de leurs candidats au poste de Chef du gouvernement, a opté pour Elyes Fakhfakh. Un choix qui en a surpris plus d’un. En effet, l’ancien ministre du Tourisme puis des Finances sous les gouvernements de la Troïka n’était pas dans les favoris. Son nom n’a été proposé que par Tahya Tounes et Attayar a fait savoir qu’il ne s’opposerait pas à sa nomination. Nous sommes loin de Fadhel Abdelkafi – lui aussi passé par les Finances – qui pouvait compter sur le soutien des deux premiers blocs parlementaires (Ennahda et Kalb Tounes).

Ce choix a évidemment fait couler beaucoup d’encre. Outre les anti-Troïka primaires pour qui travailler avec Ennahda est un péché capital (sauf quand on s’appelle Béji Caïd Essebsi, on n’est pas à une contradiction près !), des interrogations parfaitement fondées ont agité le débat public. La principale objection concerne la légitimité de Fakhfakh. En effet, moins de quatre mois après le cycle électoral de cet automne, on peut difficilement faire abstraction de son score de 0,33% au premier tour de la présidentielle et des zéro sièges obtenus par Ettakattol aux législatives. L’intéressé oppose la très forte légitimité du président qui l’a nommé, élu avec plus de voix que les 217 députés de l’ARP réunis.

Mais les premiers pas de Fakhfakh contrastent avec ceux de son prédécesseur Habib Jemli. Il a pris le temps, 48 heures, avant de commencer les concertations. Contrairement à Jemli – qui a convié tous les partis représentés à l’Assemblée à la table des négociations -, l’ancien ministre des Finances a défini son contour politique en écartant les partis Qalb Tounes et le PDL d’Abir Moussi. A ceux qui hurlent à l’exclusion politique, Fakhfakh rétorque que la participation à un gouvernement n’est pas un droit. Il explique son critère de sélection : les partis qui ne se sont pas opposés à l’élection de Kaïs Saïed au second tour. Un choix du plus petit commun dénominateur qui va impliquer le locataire de Carthage et renforcer ce néologisme en vogue dans la presse tunisienne « le gouvernement du président ». Il est vrai qu’en dehors de ce fil conducteur, peu de choses réunissent les islamistes libéraux d’Ennahda et les nationalistes arabes et socialistes d’Al Chaab ou encore les ultraconservateurs d’Al Karama avec les « modernistes » de Tahya Tounes.

Lors de sa conférence de presse du 24 janvier, Fakhfakh a exposé sa vision de la politique économique et sociale. Il a rappelé sa détermination à « mener les réformes nécessaires » au profit des personnes les plus vulnérables. De la social-démocratie bon teint. Mais ce courant, s’il existe dans l’Assemblée, ne dépasse pas la cinquantaine de députés. Lors de la présidentielle, les observateurs ont reconnu au candidat Fakhfakh une maîtrise des sujets économiques, sociaux et sociétaux, des atouts pour un Chef du gouvernement. Mais comment mettre en œuvre cette vision avec une majorité potentielle hétéroclite, la question mérite d’être posée.

Les premières interventions et décisions de Fakhfakh laissent penser que pour la première fois depuis 2014, la Kasbah sera occupée par un politique et non par un « technocrate ». Son principal atout pour passer l’épreuve du vote de confiance est la crainte d’une élection anticipée qui ferait perdre à une bonne partie des députés leurs sièges et l’immunité qui va avec. Mais même avec une majorité confortable, saura-t-il neutraliser les contradictions de ses soutiens politiques ?